Le Chant de la phalène (Oraison)

Cette série de photographies (parfois augmentée de dessin à la mine graphite) rend compte d’une expérience sensible du paysage vécue au Domaine de Kerguéhennec dans le cadre d’une résidence de création au cours de l’année 2019. La vie y est perçue dans ses moindres reliefs et dans son mouvement le plus infime, le plus délicat. Elle renvoie le spectateur à un réel lointain, insaisissable, respecté. Cette approche de la nature est aussi une façon de se tenir dans un monde abîmé, un monde où « rien ne chante plus et tout est bien chantage » (Bernard Lamarche-Vadel), où les moineaux sont éteints par les corbeaux, les choucas. Il s’agit de rendre à nouveau le bruissement audible, comme un chant contre chant et ce chant contiendrait toute la beauté du monde mais aussi sa perte. Ces images glanées dans le vert ne peuvent être circonscrites de manière définitive. Elles échappent à l’identification de manière décidée et assumée, presque politique.
Tout comme la mort de la phalène observée par Virginia Woolf, il s’agit de louer la pureté de cette danse ultime.
En dessinant à la mine graphite sur les tirages photographiques, dans une grande agitation (presque panique), les reliefs sont ranimés tout en rendant la matière photographique mouvante, émouvante. En mariant ces deux gestes, en reliant l’œil à la main, c’est une nouvelle langue (un chant) qui s’invente en créant des situations visuelles renvoyant continuellement à l’image photographique à une mémoire primitive de cette technique. Ce procédé est un voyage entre deux mondes sensibles, celui du regard (la photographie) et celui de la main (l’écriture). Le regardeur se promène dans les images, d’une technique à l’autre, comme dans le paysage où l’œil se perd, bute sur une arbre et retrouve l’ouverture d’un chemin, le plein cadre. La végétation est réanimée par la main, cette même main cueille des fleurs et les assemblent en bouquets (à chaque saison). Séchés, ils sont photographiés. Agrandies, ces vanités rendent compte de l’épuisement d’un
monde. Ils sont morts et vifs (simultanément).
La scénographie de l’exposition réunissant ces images n&b et quelques unes en couleur veut traduire les longues promenades, dehors, dans l’espace du vert, du vers, ramenés à l’échelle du dedans afin que l’amplitudes des marches soient perçues, ressenties et revécues par le visiteur.
L’ouvrage de 48 pages est souple et d’un format ample. Il déplace de l’air à chaque feuillet tourné. il se termine par un poème inédit de Suzanne Doppelt et un texte d’Olivier Delavallade, directeur artistique du Domaine de Kerguéhennec. Un extrait d’une partition du compositeur Florent Motsch (El Beso) s’intercale au 2/3 de l’ouvrage comme une amplification du bruissement des pages. Il est imprimé sur papier Munken Polar 150 g et relié par une couture singer.

Anne-Lise Broyer

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